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Sabrina Lomel - Psychologue Clinicienne

Psychothérapeute - Hypnothérapeute - Consultation souffrance au travail

La prise en charge du patient algique

Oct 2012

Alors que pour certains patients, la douleur se dompte et se dresse comme un animal de compagnie partageant avec eux le quotidien de leur vie bien tenue au bout d’une laisse ; d’autres se font littéralement dévorer par elle. Ils souffrent.

Alors que la douleur se soumet au verbe avoir « J’ai mal », la souffrance elle, possède le sujet « Je souffre ». Pourtant, paradoxalement, ils pourraient dire : « je souffre donc je suis ».

 

La douleur est un sujet compliqué, à la frontière entre le somatique et le psychique, un territoire sur lequel se rencontre la médecine et la psychologie.

Pourtant, dans les faits, le passage de relais entre ces deux disciplines ne va pas de soi. Or, cette prise en charge globale, somato-psychologique est indispensable au patient algique. Elle est le point de départ d’un retour à une unité psychosomatique.

Comment appréhender conjointement un patient algique ? Comment comprendre sa douleur pour mieux le guider?

 

Pour ma part, la douleur est le premier motif d’orientation des médecins vers ma consultation.

Les patients qui m’arrivent échouent littéralement dans mon bureau. Ils m’apparaissent comme des naufragés que la marée a rejetés sur le récif.

Ils ne savent pas bien ce qu’ils font là, ils sont tour à tour agressifs, dubitatifs, sur la réserve, méfiants.

Souvent, le médecin leur a dit que ce n’était plus de son ressort et que « c’était dans leur tête ». Souvent il n’a pas pu dissimuler son agacement devant ce patient plaintif, forcément répétitif et qui semblait faire de la résistance à ses efforts.

Combien sont ceux qui ne répondent pas aux antalgiques ? (c’est même un critère de la douleur chronique [1]) et qui, lorsqu’on change leur traitement font des allergies, ou disent ne pas le supporter ?

Souvent le corps médical fini par penser que le patient ne fait pas d’effort pour s’en sortir qu’il s’y complet ou qu’il l’exagère.

La difficulté repose sur le fait qu’à ce moment de la prise en charge, de l’histoire du sujet, sa douleur est somatique, elle est inquiétante, il ne l’a pas voulue et l’attitude du corps médical lui renvoie que ce n’est plus son objet d’étude. C’est alors vécu très violement pour celui pour qui cette douleur est étrangère, fait effraction et qu’il ressent dans son corps.

Lorsqu’il arrive chez le psychologue, c’est parce que le médecin le lui a demandé mais il n’a de cesse dans les premiers temps de vouloir invalider l’hypothèse psychique pour que, de nouveau, son corps soit pris en charge par la médecine.

On retrouve très fréquemment un sentiment d’abandon chez les patients orientés à la hâte par des médecins lassés, dépassés. « Votre corps ne m’intéresse pas, débrouillez vous avec » décrit une patiente qui me raconte comment elle a interprété l’attitude de son médecin généraliste.

Ceci évoque le mouvement régressif des patients à l’endroit du médecin. Ce dernier se substituant ou non, à la bonne mère capable d’apaiser le corps.

Le refus du médecin d’accueillir ce mouvement régressif peut être vécu comme un séisme narcissique de magnitude variable selon la fragilité préalable du patient.

 

Pour le psychologue, lors du premier entretien il va falloir expliquer, rassurer apprivoiser le patient et créer un cadre de travail étayant.

Expliquer que le médecin ne l’abandonne pas et que sa douleur part bien de  son corps : « C’est bien votre main qui souffre mais peut être que votre main n’est pas la seule responsable de votre douleur ».

Rassurer en expliquant au patient qu’on le croit et qu’on à entendu sa plainte.

Rassurer sur le fait qu’il n’est ni «  fou », ni perçu comme tel, mais que le fait de lutter contre la douleur quotidiennement affecte son moral.

Les patients adhérent sans retenue à cette explication qui est certes, très partielle mais a le mérite d’être un bon point de départ. Partir des effets de la douleur pour revenir aux causes et aux mécanismes sous-jacents permet d’introduire la dimension psychique en déjouant les défenses (dénégation, déni) du sujet.

Souvent, au début de leur prise en charge psychologique les patients algiques vont essayer de convaincre que la douleur est consécutive à une erreur médicale ou à autre chose de non diagnostiqué.

La demande arrive dans un deuxième temps. Pour que le patient arrive à la formuler il faut déjà que le regard qu’il porte sur sa douleur s’élargisse au-delà de l’endroit du corps réel.

Si le psychologue parvient à créer un cadre de travail en lien avec le médecin, c’est-à-dire en permettant le transfert d’un imago parental suffisamment bon alors, le patient pourra se laisser aller à un mouvement régressif nécessaire à toute thérapeutique.

Avec d’autres patients au contraire, il faudra sortir de l’idée du « psy magicien ».

Certains médecins présentent le psychologue comme celui qui va d’un coup de baguette magique tout régler, supprimer la douleur.

Or la douleur n’est pas l’ennemie à éradiquer à tout prix. Elle est un signal somatique. La plainte quant à elle, est un message psychique. C’est elle qui nous intéresse car c’est le balbutiement de l’élaboration (le passage du ressenti corporel à l’idée de ce ressenti qui peut lui, être mis en mots).

C’est un message qui raconte la résonnance psychique du corps du patient, une capacité à se représenter cette douleur dans un espace imaginaire.

Même si elle apparait comme répétitive, peu élaborée, laconique nous devons passer outre ces subterfuges pour ne garder que la possibilité de résonnance qui marque l’ouverture d’une voie de réhabilitation entre le corps réel et le corps imaginaire.

C’est de cette dimension psychique que nous sommes garants et quand bien même la plainte se ferait plus forte, la demande de soulagement plus pressante, nous ne pouvons nous situer que comme dépositaires.  C’est une position parfois difficile à tenir car notre propre désir peut venir se substituer à celui du patient claquant ainsi la porte à toute possibilité d’élaboration. Souvent cette demande de soulagement pressente et qui ne concerne que le corps est annonciatrice d’une ouverture prochaine de la voie psychique. La demande étant entendue mais ne pouvant trouver de réponse elle mute pour devenir demande de réassurance, d’étayage. Le sujet n’est plus seul face à sa douleur.

C’est souvent à ce moment que réapparait la capacité onirique jusque là gelée. Les rêves réapparaissent souvent sous forme de cauchemars, dans un premier temps, mais l’espace imaginaire et la capacité imaginative (cf. : Sami Ali) sont bel et bien revenus permettant au conflit qui sous tend le processus douloureux de soulager un peu le corps.

En cela, le psychologue n’est pas un magicien car il avance dans le respect du rythme du patient. Il faut donc renoncer à cette obligation de résultats qui ne passerait que par la suppression des douleurs. Nous devons nous garder de désirer à la place du patient. Ce qui est parfois difficile  face à ces sujets qui ne sont pas dans l’élaboration et face au corps médical qui peine à se dégager d’une lecture linéaire du problème et attend de la psychologie une solution plus qu’un moyen de compréhension. Or, la psychologie ne peut prendre la mise sous silence de la douleur pour une guérison.

 

La douleur : Son rôle dans l’économe psychique

 

Elle est perçue par le sujet comme étrangère, il ne la reconnait pas, il la subie, parfois avec beaucoup de violence.

Pourtant, paradoxalement, elle ne cède pas facilement.

Le sujet peut même se montrer agressif et mettre un terme au travail psychothérapique si le thérapeute se montre insistant sur son aspect psychique et refuse d’écouter la plainte somatique.

De la même manière que l’on observe une augmentation de l’intensité de la douleur ou une intolérance médicamenteuse lorsque l’algologue s’acharne à faire taire la plainte douloureuse.

 

Tout ceci n’est pas si simple, on le sait. Si la douleur est là, c’est que quelque chose fait échec dans l’économie psychique et elle se présente comme l’ultime solution pour se protéger. La douleur comme guérison, voilà qui nous éloigne considérablement du modèle médical.

Pourtant, c’est à des fins adaptatives, dans le but de réguler la sphère pulsionnelle que ces patients investissent massivement le corps et la décharge somatique. Bon nombre de patients douloureux chroniques sur-utilise le verbe faire (« qu’est ce que je vais faire maintenant ? Je ne peux plus rien faire » etc.) La fonction tonique du corps est surinvestit au détriment de la mise en lien symbolique, de la fonction représentative : agir plutôt que penser.

Lorsque le corps nécessite du repos, lorsque le sujet ne peut plus agir, il reste souffrir comme ultime recours pour empêcher de penser.

La crainte de l’effondrement, la lutte anti dépressive voilà dans quoi sont pris ces patients.

La tension qu’ils font subir à leur corps les protège et lorsque le corps n’est plus mobilisable et que la détente est préconisée c’est l’angoisse qui se manifeste.

D’ailleurs, dans leur discours, on entend la lutte qu’ils mènent contre la douleur et, qu’on ne puisse rien « faire » n’est pas entendable pour eux.

Dans d’autres cas, la douleur ne parvient pas à remplir sa fonction et la dépression tant redoutée s’installe aux côtés du syndrome douloureux chronique dans un système de vase communiquant créant une situation d’impasse thérapeutique.

La douleur majore l’état dépressif qui lui-même entretient la douleur.

On se retrouve alors face à un patient qui n’est plus que l’ombre de lui-même, déprimé physiquement et moralement. Le contenu du discours est succinct, répétitif : « je ne comprends pas pourquoi c’est arrivé, je comprends pas » me répète inlassablement Abdel, menuisier qui s’est amputé la pulpe du doigt au travail. La réimplantation a pourtant été un succès.

Ces patients surprennent, découragent, agacent le corps médical. L’opération s’est bien passée, il ne s’agit que d’une lésion mineure et pourtant ils s’effondrent jusqu’à développer d’autres pathologies (dans le cas d’Abdel, des céphalées violentes accompagnées de vomissements) qui épuisent d’avantage le fonctionnement psychique, le corps du patient mais aussi le soignant.

J’ai rencontré Abdel quelques mois après son accident, lorsque l’algodystrophie[2] a été diagnostiquée. Le travail d’anamnèse que j’ai entrepris avec lui a permis de mettre à jour un deuil non résolu ; le décès du père auquel il était très attaché. Il n’a pas pu se rendre à son enterrement. Ce monsieur de 45 ans a toujours été un bon ouvrier, sérieux, consciencieux, également un bon père de famille. Il travaillait dur, n’était pas regardant sur le temps, ni pour son patron ni pour ses enfants. Il a, suite au décès de son père, travaillé encore plus. L’hyperactivité lui a permis de trouver une solution efficace pour lutter contre la menace de l’effondrement pressenti s’il s’aventurait à élaborer ce deuil. Or, l’accident, de fait, l’a contraint à rester chez lui, inactif, inutile. La douleur a alors rempli tout l’espace lui garantissant alors l’ultime protection contre le chagrin.

Lorsque nous en sommes venus (avec beaucoup de difficultés) à dévoiler ces souvenirs funestes, les migraines violentes sont venues en renfort anéantissant ainsi la possibilité de s’approprier ses souvenirs et les affects associés. Depuis, il se tient la tête, ne supporte ni le bruit ni la lumière, ne peut ni parler ni écouter très longtemps et sort parfois de la pièce pour aller vomir.

Il vient, accompagné de sa femme qui joue les porte parole.

Il n’est plus un mari, il n’est plus un père (il ne peut plus supporter ses enfants et passe ses journées dans l’obscurité de sa chambre), il n’est plus menuisier.

Mais il continu de venir me voir. Inlassablement il répète en grimaçant « ça va pas, j’ai mal, je comprends pas ».

Dans ce cas on voit qu’on ne peut pas si facilement espérer un retrait de la douleur, le patient y tient car elle lui sert. Ici elle nous laisse présager l’ampleur de la dépression qui pourrait advenir si on la lui supprimait sans avoir au préalable travaillé sur sa capacité psychique à accueillir les affects tant redoutés.

C’est très difficile pour un soignant de respecter ce temps de l’élaboration, de supporter la plainte, de supporter de ne pas pouvoir y répondre.

A quel endroit si ce n’est dans le cabinet du psychologue, de tels patients peuvent venir déposer une telle plainte, un tel corps ? Qu’adviendrait-il de ces patients, souvent rejetés par un entourage lassé, s’ils n’avaient pas cet espace porteur d’une promesse, d’une parole, d’une issue ?

Nous avons tous expérimenté la douleur un jour, l’empathie va de soi mais elle ne doit pas nous faire perdre de vue le sujet qui est en face de nous.

Face à ces patients, la limite entre empathie et neutralité bienveillante est chahutée, bousculée, interrogée. Pourtant elle est indéniablement  la condition sine qua non à la création d’un espace thérapeutique.

 

[1]Recommandation professionnelle,  Douleur chronique : reconnaître le syndrome douloureux chronique, l’évaluer et orienter le patient, Concensus formalisé  – Haute Autorité de Santé – Décembre 2008.

[2]Algoneurodystrophie, algodystrophie ou encore Syndrome douloureux Régional Complexe (SDRC) : Syndrome douloureux localisé autour d’une ou plusieurs articulations, qui associe une douleur continue, avec hyperalgésie,  un enraidissement progressif,  des troubles vasomoteurs. Université Médicale Virtuelle Francophone – Item 221 : Algoneurodystrophie – 2008-2009.  

 

Article publié dans Le Journal des Psychologues, n°301, Octobre 2012